Tu sais, lecteur, que j’aime bien, de temps en temps, te présenter des articles d’autres blogs, sans rapport avec ce qui est le sujet principal de celui-ci. C’est le cas, aujourd’hui, où j’ai envie de te faire suivre cet article trouvé sur un site agricole. Tu vois lecteur, nous sommes loin de la broderie !!!
Ces quelques lignes écrites par un agriculteur-éleveur qui aime son métier, me semblent résumer ce que pense et ressent le milieu agricole actuellement. Si ce sujet ne t’intéresse pas lecteur, et je peux le comprendre, je t’invite à arrêter là ta lecture. Mais si tu te sens un peu concerné et que tu arrives au bout de cet article, s’il t’a fait réfléchir et voir la situation sous un autre jour, alors je n’aurai pas perdu mon temps aujourd’hui.
Texte paru sur Du cote du web et de l’informatique agricole ( Acta Informatique)
“Comme le 15 avril 2000 à Lacs nous en avions témoigné, l’heure n’est plus ni à la dérision, ni à l’affrontement, mais bien à la gravité. Une fois encore, je ressens comme beaucoup d’entre-nous, cette désespérance à me voir condamné par certains, à ne plus être ce que je suis, éleveur.
A l’époque, je n’arrivais pas à voir dans le regard de mes enfants si déjà ils avaient honte comme « ils » voulaient le leur faire vivre. Ce métier d’éleveur, je l’ai choisi, cette passion de faire naître, j’en suis habité, cette responsabilisassions au coeur de la vie, je l’assume et la revendique depuis bien longtemps.
Aujourd’hui, je n’arrive pas à voir dans Votre regard, si déjà, Vous, avez honte d’en manger comme « ils » voudraient vous le faire vivre …
Alors ?
Renoncer, ne plus parler, ne plus tenter d’expliquer, de démontrer, de prouver ce que d’aucuns ne veulent même plus entendre.
Laisser faire par fatigue et laisser perdre cette liberté de choisir si possible ce que nous voulons dans notre assiette, juste pour suivre le diktat de ces nouveaux leaders d’opinion, spécialistes auto-proclamés, vendeurs de peurs et prédicateurs de la fin du monde …
Pourtant, la liberté a du sens et mérite qu’on se batte pour elle !
…pouvoir manger et mieux pouvoir choisir de manger à l’occasion ce qui nous plait, quand cela nous plait et où cela nous plaît,
…pouvoir manger, une très longue histoire qui n’est pas encore terminée, un combat contre la peur de manquer et la faim qui tenaille notre espèce depuis la nuit des temps,
…une quête initiée par Lucie qui, en descendant de son arbre pour voir plus loin et trouver de la nourriture, des animaux à manger, une chance de nous développer et d’exister,
…manger, un combat à peine gagné, sauf pour les chanceux, nés sur les bons continents,
et demain, si on écoute ces nouveaux donneurs d’ordre et de moral, un interdit ou un luxe pour les générations à venir.
Décidément les visions manichéennes, arbitraires, simplistes font recettes et permettent la bonne conscience de l’intérêt collectif sur l’intérêt individuel … celui des éleveurs, de ceux qui travaillent dans la filière, et demain de ceux qui en mangent … comme autant de nouveaux boucs émissaires, coupables désignés de tous ces maux dont souffre la planète.
Dans les fondements même des démocraties et de la République Française, je voulais croire en la cohésion sociale, la solidarité et seulement même au fait de vouloir vivre ensemble, libre de nos choix dans le respect mutuel des libertés de chacun.
Demain nous continuerons à manger, mais nos repas et les produits qui les constitueront, seront espagnols, américains ou brésiliens, si on n’y prend pas garde.
Ironie que d’avoir voulu répondre, en région Centre, aux exigences en anticipant par nos cahiers des charges drastiques, nos ressources régionales et notre éthique d’éleveur.
L’incompréhension nous afflige. Nous sommes impuissants.
Et ce ne sont pas les publicités décalées ou les appels consuméristes qui provoqueront la prise de conscience des vrais dangers, ni changeront le cours de l’histoire qui est entrain de s’écrire …
Ce silence est étouffant. Il faut le briser…
…même si l’espoir d’être enfin entendu devient si faible, que bon nombre parmi nous n’y croient plus et se murent dans le silence,
…comme d’autres ont lâché prise face au poids de l’injustice et du rejet,
…hier pour cause de couleur, de religion, ou de race,
…aujourd’hui pour oser exercer un métier qui pourtant était si noble, et qui depuis si longtemps contribuait à construire notre monde,
…demain pour avoir osé en manger en public.
Ce dernier témoignage, je veux l’apporter.
Derniers murmures et cris de rébellions avant le silence …
Silence, puisqu’on coule dans l’indifférence voire l’opprobre.
Silence…
Écoutez la campagne, la vôtre, la nôtre…
Écoutez la présence rassurante des hommes et des femmes, des paysans…
Non ? Ah ! Vous n’entendez plus rien ?
Non, bien sûr, silence on coule… et la campagne se meurt !
Eric Van REMOORTERE, Eleveur de la Région Centre
