Il y a quelques jours lecteur gourmet, je t’ai parlé de la venue au club Tchatche et Petits Points de Mirelha armée d’un grand rouleau (son ouvrage pour le concours) et d’une tout aussi grande boîte contenant une belle galette des rois à la frangipane, faite maison.
Elle avait aussi prévu d’en amener la recette que je vais te retranscrire ici dans sa totalité. Mais ce n’était pas une recette ordinaire. Son auteur, Marie Rouanet, est bien connue dans notre midi et au-delà pour sa belle plume d’écrivain, mais aussi pour son amour de la cuisine. Elle a écrit plusieurs ouvrages sur ce sujet. Voir ICI
Voici donc ce très beau texte empreint de poésie, de souvenirs d’enfance, avec les odeurs et les bruits de la garrigue de chez nous. Manque juste “l’assent“ pour y être tout à fait.
La tarte aux amandes de vignes de Marie Rouanet
” Il neige sur le rebord septentrional du Causse, le vent du Nord souffle à débaner les chèvres. Bientôt les montagnes qui bordent notre plaine à vignes blanchiront sous la neige et le gel comme des fruits givrés. Il nous fond déjà dessus une lumière de verre, agile et glaciale.
Les vignes sont nues maintenant. Les amandiers sur les talus aussi, mais sur les branches noires on voit encore des fruits de l’an dernier. Les pies le savent, qui tireront tout l’hiver sur cette réserve. Longtemps encore, au pied de l’arbre, on trouvera des amandes dans l’herbe sèche. Ou bien, soyez l’ami d’un de ces instituteurs, comme on n’en fait plus, qui restaient de la sortie de l’École Normale à la retraite dans le même village, devenaient des institutions au même titre que l’église et finissaient dans la peau d’un historien, d’un jardinier, d’un viticulteur, d’un archéologue. L’un que je connais révéla un étonnant village fortifié du néolithique, un autre releva des menhirs, l’autre cultive des amandiers de fruits à coque fine, un plaisir pour le triage. Il a aussi des ruches, des asperges inégalables, du miel. C’est pourquoi je consomme plusieurs dizaines de kilos d’amandes dans l’année et pratique le caramel, la nougatine et la praline.
Pour savoir si une amande est pleine, vous pouvez la secouer près de votre oreille : vous entendrez l’amande jouer dans sa coque de bois. Je me souviens de l’enfant aimé qui avait inventé ce test. C’était, comme maintenant, au cœur de l’hiver, ses oreilles étaient froides et douces comme celles des lièvres et, quand il avait reconnu le bruit du fruit, il cassait l’amande entre deux pierres, de ses minuscules mains glacées et la mangeait pensivement, comme les écureuils.
Quand il en trouvait une double – ô ces jumelles si bien accordées creux et bosses, comme deux corps amoureux – nous jouions à « philippine » ou à « est-ce qu’on s’entend bien ? » Voilà comment : chacun mange son amande, puis on se tient par le petit doigt. On compte 1, 2, 3 et à trois on crie un chiffre de 1 à 10. Si c’est le même qu’on crie, alors, on s’entend rudement bien (on peut tricher facilement).
Jouez aussi, tout en décortiquant une livre d’amandes à coque fine. Réservez-en une poignée.
Pilez les autres grossièrement. Mélangez morceaux et poudre d’amandes avec un volume égal de sucre et un volume égal de crème fraîche. Remuez bien pour obtenir un mélange crémeux.
Il y a quelques heures, vous avez fait votre pâte feuilletée. Coupez-la en deux morceaux. L’un sera étalé pour être le dessous de la tarte, dans lequel on verse le mélange crème-sucre-amandes. Laissez-le dépasser largement du moule. L’autre servira pour le dessus.
Vous souderez d’un peu d’eau fraîche le fond du couvercle.
Entre les deux, vous aurez réparti régulièrement la crème aux amandes.
Décorez alors le dessus. Faites de petites encoches de la pointe d’une paire de ciseaux, les trous seront ouverts. De la pointe d’un couteau émoussé – juste d’un trait, sans trouer – dessinez feuilles et fleurs, dessinez le ciel, l’arche de Noé, un jardin potager, le fond de la mer, écrivez un poème ou « je vous aime ». Laissez parler votre imagination.
Puis battez vigoureusement un jaune d’œuf et deux cuillerées de lait. Badigeonnez-en votre chef-d’œuvre. Il a l’air de s’effacer… Erreur ! La cuisson, en soulevant la pâte, va le recréer, le restituer doré et croustillant.
Quant à l’intérieur, une fois cuit, il tient de la nougatine, du caramel, du bonbon maison.
Quand un mets était particulièrement succulent, mon père déclarait : « On dirait qu’un lapin te lèche l’âme ».
Essayez. C’est tout à fait ça.”
Marie Rouanet
Et la fève ???
Bon mercredi.
Bisoux
La fève ? Et bien c’était une vraie fève sèche, ou comme nous l’avait fait Mireille, une simple amande .
Quelle belle page!
Merci pour cette recette qui est déjà du bonheur à lire!
Un délice en puissance, et quelle jolie façon de l’écrire !!! Merci……..
j’ai decouvert les textes de Marie Rouanet il y a quelques annees grace à ma maman qui habite en languedoc et qui était passionée, helas,la maladie a dévoré son esprit et sa conscience et je ne peux plus partager avec elle;votre texte a amené une brassée de souvenirs tendres , tristes mais c’est la vie et grace à vous j”ai revécu quelques moments heureux , MERCI
Merci de ce partage …….
Là pour le coup c’est ton article qui me lèche l’âme!!! Bon je vais aller m’enquérir de tous les ingrédients et me mettre à l’ouvrage.
Merci d’avoir évoqué Marie Rouanet et sa prose pleine de poésie!Beaucoup de souvenirs de mon enfance ont resurgi à la lecture de cet extrait.Merci et bonne journée.
Merci pour cette recette qui, je n’en doute pas, sera succulente comme toutes les autres
Bises
Jeanine
Bien digéré ??? Qui a eu la “fève” ?
Elle a bien été trouvée mais je ne sais plus par qui ! Mais rassure toi, tout le monde l’a appréciée et digérée sans aucun problème. Encore merci à toi pour ta gentillesse.
Un bien joli texte à savourer, moi qui suis lectrice acharnée, ça me donne envie de découvrir ces livres et merci pour ce moment sublime sous les amandiers, on s’y croirait … en dégustant cette délicieuse galette ! Bisous. MF
que c’est joliment dit !
Quel superbe texte ! On en oublierait presque la recette. L’un et l’autre satisfont notre gourmandise. La recette à essayer, et l’auteur à retrouver par ailleurs… Merci pour ce partage.
C’est Mireille qu’il faut remercier de cette découverte. Celà me fait très plaisir que d’autres apprécient aussi ce partage.
Marie Rouanet était la prof de français de seconde de mon fils ainé. Elle lui a donné le goût de la littérature, lui qui ne l’avait guère jusque là.
Je découvre ce jolie blog avec grand plaisir.
Quelle chance d’avoir eu un tel prof ! Je comprend son évolution littéraire.